PHILIPPE HERSANT
SONGLINES
Performer Ensemble Zellig. Cédric Tiberghien. Romain Garioud. Alice Ader. Matthieu Lécroart
32 pages & Notes in English and FrenchCD MDC 7872 20€ / order
PHILIPPE HERSANT
PHILIPPE HERSANT
PHILIPPE HERSANT
PHILIPPE HERSANT
PHILIPPE HERSANT
About PHILIPPE HERSANT
SONGLINES
Stopping the hand of time ?
Perhaps, somewhere deep inside, I dream of stopping the hands of time. Perhaps that’s the secret dream of every composer… Actually, I wouldn’t put it in quite those terms. What I dream of, in fact, is that once that last note has been played, my pieces will continue to linger in the listener’s conscience. Certain pieces of music haunt me long afterwards; I have trouble extracting myself from their influence. I would like for my music to produce a similar effect.Several of my pieces have a drawn out and static ending, voluntarily haunting, where resonant instruments such as the piano or bells have a large part to play. This is the case in the final three minutes of Château des Carpates, which unfolds along one single chord (…) In my opinion, the ideal would be to make the listener want “this never to end”, so that when the final chord is played, it leaves behind a sense of frustration. And even though the silence returns, the music continues to resonate.
Arrêter le temps ?
Peut-être y a-t-il, enfoui en moi, le rêve d’arrêter le temps. Peut-être est-ce le rêve secret de tout compositeur… Mais je ne dirais pas les choses exactement en ces termes. Je rêve, en fait, que mes œuvres, une fois la dernière note jouée, se prolongent dans la conscience de l’auditeur. Certaines musiques m’obsèdent longtemps; je mets du temps à me dégager de leur emprise. J’aimerais que ma musique puisse produire le même effet.Plusieurs de mes pièces se terminent par des plages statiques, volontiers obsédantes et où les instruments résonants, comme le piano ou les cloches, jouent parfois un grand rôle. Ainsi, les trois dernières minutes du Château des Carpathes, qui se déroulent sur un seul et même accord (…) L’idéal, selon moi, serait de donner envie à l’auditeur que « ça ne s’arrête jamais », que l’ultime accord soit donc ressenti comme légèrement frustrant, mais que l’œuvre, une fois retournée au silence, continue d’émettre ses radiations.
Philippe Hersant
Le filtre du souvenir (Interviews with Jean-Marc Bardot) Cig’art Edition.
SONGLINES
Ensemble Zellig:
David Bismuth, piano
Anne-Cécile Cuniot, flute / flûte
Elisa Humanes, percussion / percussions
Matthew Kline, double bass / contrebasse
Etienne Lamaison, clarinet / clarinette
Silvia Lenzi, cello / violoncelle
Cédric Vinatier, trombone
It was during his time as a school-teacher that Arkady learned of the labyrinth of invisible pathways which meander all over Australia and are known to Europeans as`Dreaming-tracks’ or `Songlines’; to the Aboriginals as the`Footprints of the Ancestors’ or the `Way of the Law’.Aboriginal Creation myths tell of the legendary totemic beings who had wandered over the continent in the Dreamtime, singing out the name of everything that crossed their pathbirds, animals, plants, rocks, waterholes – and so singing the world into existence.Arkady was so struck by the beauty of this concept that he began to take notes of everything he saw or heard, not forpublication, but to satisfy his own curiosity.
Ce fut durant la période où il exerça le métier d’instituteur qu’Arkady apprit l’existence du labyrinthe de sentiers invisibles sillonnant tout le territoire australien et connus des Européens sous le nom de Songlines, « itinéraires chantés » ou « pistes des rêves » et des Aborigènes sous le nom d’ « empreintes des ancêtres » ou de « chemins de la loi ».Les mythes aborigènes de la création parlent d’êtres totémiques légendaires qui avaient parcouru tout le continent au Temps du Rêve. Et c’est en chantant le nom de tout ce qu’ils avaient croisé en chemin – oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d’eau – qu’ils avaient fait venir le monde à l’existence.
Bruce Chatwin.
Songlines (Penguin Classics. Grasset)
After reading the book of the same name written by Bruce Chatwin, I wrote Songlines, dazzled by the beauty of these aboriginal creation myths. The work consists of five short pieces, composed for a highly unusual instrumental ensemble: flute, clarinet and bass clarinet, trombone, cello, double bass, wooden drums and piano, in addition to several incidental instruments including harmonica and flute played in the wings.A melody played by the flute (distantly related to an Australian song) is the central theme. It opens the work and runs through the entire piece, passing from the flute to the trombone and finally, in the epilogue, to the cello. In Songlines, there is no direct reference to aboriginal music aside from the treatment of the trombone (in the second piece) and the sound of the didgeridoo, a traditional Australian instrument.I wrote Songlines in 2007 for the Ensemble Diabolicus, to whom the piece is dedicated.It is recorded here for the first time by the Ensemble Zellig.
C’est après la lecture du livre homonyme de Bruce Chatwin que j’ai écrit Songlines, ébloui que j’étais par la beauté de ces mythes aborigènes de la création du monde. Il s’agit d’un recueil de cinq pièces brèves, confiées à un ensemble instrumental très inhabituel (flûte, clarinette et clarinette basse, trombone, violoncelle, contrebasse, tambours de bois, piano, auxquels s’ajoutent quelques accessoires : harmonica et flûte à coulisse).Un air de flûte (lointainement inspiré d’un chant australien) sert de fil conducteur, il ouvre l’œuvre et la parcourt tout entière, passant de la flûte au trombone puis, dans l’épilogue, au violoncelle. Il n’y a par ailleurs, dans Songlines, aucun emprunt direct à la musique aborigène – tout au plus trouvera-t-on une parenté entre le traitement du trombone (dans la deuxième pièce) et le son du didgeridoo, instrument traditionnel australien. J’ai écrit cette pièce en 2007 à l’intention de l’Ensemble Diabolicus, à qui elle est dédiée. L’ Ensemble Zellig l’enregistre ici pour la première fois.
IN BLACK
Cédric Tiberghien, piano
A thousand years ago a monk, dressed in black, wandered about the desert, somewhere in Syria or Arabia. . . . Some miles from where he was, some fisherman saw another black monk, who was moving slowly over the surface of a lake. This second monk was a mirage. From that mirage there was cast another mirage, then from that other a third, so that the image of the black monk began to be repeated endlessly from one layer of the atmosphere to another. So that he was seen at one time in Africa, at another in Spain, then in India, then in the Far North. . . . Then he passed out of the atmosphere of the earth, and now he is wandering all over the universe
Il y a mille ans, un moine, vêtu de noir, cheminait dans le désert, en Syrie ou en Arabie. À quelques mètres de l’endroit où il passait, des pêcheurs virent un autre moine qui marchait lentement sur l’eau d’un lac. Le second moine était un mirage. De ce mirage en naquit un deuxième, du deuxième un troisième, de sorte que l’image du moine noir se transmit à l’infini d’une couche de l’atmosphère à l’autre. On la vit en Afrique, en Espagne, aux Indes, dans l’extrême Nord. Elle sortit enfin des limites de l’atmosphère terrestre, et maintenant elle erre dans tout l’univers.
Anton Tchekhov.
The Black Monk / Le moine noir
In Black (2007) can be seen as a satellite to my opera, Le Moine Noir (The Black Monk), which was composed in 2005 and was based on the story of the same name by Chekhov. The only musical material that I borrowed from the opera is a brief sequence of chords, that was then considerably developed, to the point where it makes up almost the entire musical substance of In Black.The piece is inspired by references that are both literary (the metaphysical discussions between Andreï and the monk in Chekhov), as well as pictorial (the paintings by Kazimir Malevitch, including the famous Black Square).
In hindsight, it seems to me that Franz Liszt’s influence (the Liszt of Funérailles, for example) hovers over this piece – but this came about quite subconsciously. Entirely deliberate, on the other hand, are the references to Orthodox liturgical song that are scattered throughout the work, and that recur two or three times. In Black was commissioned by the Royal Philharmonic Society and the BBC. It is dedicated to Cédric Tiberghien and premiered in London in July 2007.
In Black (2007) peut être considéré comme un satellite de mon opéra Le Moine noir, composé en 2005 d’après le récit homonyme de Tchekhov. Je n’ai emprunté au matériau musical de l’opéra qu’une brève séquence d’accords, mais j’ai considérablement développé celle-ci, au point qu’elle finit par constituer presque toute la substance musicale de In Black.
La pièce s’est nourrie de souvenirs littéraires (les discussions métaphysiques entre Andreï et le moine, dans Tchekhov), mais aussi picturaux (les tableaux de Kazimir Malevitch, dont le fameux Carré noir sur fond blanc).
Avec le recul, il me semble que le souvenir de Franz Liszt (le Liszt des Funérailles, par exemple), plane également sur cette œuvre – mais cela s’est produit de façon inconsciente. Tout à fait délibérées, en revanche, sont les évocations de chants liturgiques orthodoxes qui parsèment le discours musical à deux ou trois reprises. In Black est une commande de la Royal Philharmonic Society et de la BBC. Cédric Tiberghien en est le dédicataire et l’a créé à Londres en juillet 2007.
SONATE POUR VIOLONCELLE
Romain Garioud, cello / violoncelle
My Cello Sonata (2003), distantly related to the model for baroque sonatas, is made up of four movements, each one based on the dialogue – or the free alternation – between two contrasting elements.The first (Résolu), with its regular rhythm, is a sort of march whose tension builds little by little. But its ascension toward the higher-pitched notes is interrupted several times by a mysterious motif that is half-whispered and that will have the last word…
The second movement (Expressif) alternates dark chord arpeggios with brief lyrical “escapes” into the higher register of the instrument.
The third (Furtif) played with the mute, is in very rapid perpetual movement. Its course is a bit intricate, like a labyrinth, and is interrupted twice by an episode that is brighter and filled with harmonics. The final movement (Obsédant) is marked by the regular return to two chords (the same that open the first movement of the sonata). The cello tries to escape these chords (in particular by making a brief allusion to Bach’s chorale, Durch Adams Fall), but always returns to them…
Jacques Bernaert commissioned me to write the Cello Sonata in memory of his mother.
It is dedicated to him.
Ma Sonate pour violoncelle (2003), lointainement inspirée par le modèle de la sonate baroque, comporte quatre mouvements, chacun d’entre eux étant fondé sur le dialogue – ou la libre alternance – de deux éléments contrastants.
Le premier (Résolu), avec son rythme régulier, est une sorte de marche, dont la tension s’accroît peu à peu. Mais sa progression vers l’aigu est interrompue à plusieurs reprises par un motif mystérieux, énoncé à mi-voix. C’est ce motif qui aura le dernier mot.
Le deuxième mouvement (Expressif) fait alterner de sombres accords arpégés et de brèves “échappées” lyriques dans le registre aigu de l’instrument. Le troisième, (Furtif), joué avec la sourdine, est un mouvement perpétuel, très rapide. Son parcours un peu labyrinthique est interrompu à deux reprises par un épisode, plus lumineux, joué en sons harmoniques.
Le dernier mouvement (Obsédant) est marqué par le retour régulier de deux accords (ceux-là même qui ouvraient le premier mouvement de la sonate). Le violoncelle tente de s’en échapper (en faisant notamment une brève allusion au choral de Bach Durch Adams Fall), mais il y revient toujours…
La sonate pour violoncelle m’a été commandée par Jacques Bernaert pour honorer la mémoire de sa mère.
Il en est le dédicataire.
SIX BAGATELLES POUR CLARINETTE VIOLONCELLE & PIANO
Ensemble Zellig:
David Bismuth, piano
Etienne Lamaison, clarinet / clarinette
Silvia Lenzi, cello / violoncelle
Within that little Hive
Such Hints of Honey lay
As made Reality a Dream
And Dreams, Reality –
Cette petite Ruche abritait
De telles Promesses de Miel
Que le Réel devenait Rêve
Et le Rêve, Réalité –
The Six bagatelles were written in the spring of 2007. They were originally composed for clarinet, alto and piano. There is an alternate version (recorded here) where the cello replaces the alto.
Only the first of these miniatures is entirely original. The three following bagatelles borrow freely from musical material that I had already used for my Seven Poems by Emily Dickinson, and the last two recall Songlines. They offer deliberately disparate aspects to the listener; each one has its own character: the first is the most dramatic; the second is serious and haunting; the third (inspired by Emily Dickenson’s quatrain, Within That Little Hive) is simple and child-like; the fourth, calm and dreamy; the fifth, pulsating and sarcastic; the sixth, soft and flowing. This final bagatelle is the most developed of the six, even though it only lasts two minutes…
The Ensemble Zellig premiered this new version with cello during a tour in the United States in 2010.
Les Six bagatelles datent du printemps 2007. Elles ont été écrites, à l’origine, pour clarinette, alto et piano. Il existe une version alternative (ici enregistrée) dans laquelle le violoncelle remplace l’alto.
Seule la première de ces miniatures est entièrement originale. Les trois suivantes reprennent librement un matériau musical que j’avais déjà utilisé dans mes Sept poèmes d’Emily Dickinson, tandis que les deux dernières rappellent Songlines.
Elles offrent à l’auditeur un aspect volontairement disparate : chacune a son caractère propre. La première est la plus dramatique; la deuxième est grave et obsédante; la troisième (inspirée par le quatrain d’Emily Dickinson Within that little Hive) est populaire et enfantine; la quatrième, calme et onirique; la cinquième, trépidante et sarcastique; la sixième, douce et fluide. Cette dernière est la plus développée des six – bien qu’elle ne dure que deux minutes…
L’ensemble Zellig a créé cette nouvelle version avec violoncelle lors d’une tournée aux Etats-Unis en 2010.
IN DIE FERNE
Alice Ader, piano
Matthieu Lécroart, baryton
In memory of Raoul Mériguet
The Soldier
And when the darkness grows,
I weary of the Earth,
Through the sunset there glows
A city of infinite worth:
From the towers of gold
A choir’s song soars,
But we storm the hold
Of heaven’s very doors.
Et quand il fera sombre, et que
Je n’en pourrai plus de la terre,
Resplendira dans le couchant
Une cité magnifique :
Dans les hauts clochers d’or,
Le chœur chantera,
Mais nous, nous prendrons d’assaut
La porte céleste.
Joseph von Eichendorff
A dozen years or so ago, Thierry Ansieau and Raoul Mériguet commissioned Olivier Greif to write a song cycle for baritone and piano. The premature death of the composer having brought the project to a halt, they asked me to write a piece for the same formation, dedicated to the memory of our mutual friend. With the backing of the association, Pour Que l’Esprit Vive, the piece premiered at the Abbaye de la Prée in June 2011, performed by the musicians on this current recording: Alice Ader and Matthieu Lécroart.
In die ferne (In The Distance) is a cycle of eight songs, all composed to German poems – the majority of which are concerned with the theme of death, viewed from a more or less serene point of view. The cycle opens with two poems by Georg Trakl, one of my favorite poets. After Paysages avec ruines (Lanscapes With Ruins) and Der Wanderer (The Wanderer), I once again tried to translate into music Trakl’s strange internal environment, filled with symbols and figures (black clouds, a white pond, a silver boat, icy wind, a starry sky, migrating birds…), while remaining faithful to the religious dimension of the poetry.
In a tone that is either naïve or ironic, Heinrich Heine evokes Heaven (A heaven for simple souls) in Pious Warning, and then Hell in a light-hearted little song, Eternity, How Long You Are.
Wanderer’s Night-song is one of Goethe’s most famous poems. It is a peaceful and resigned lament where, as Jean Tardieu puts it, death “is present, not as a horror, but as a natural fact, a biological necessity.”
Clemens Brentano sweeps away this contemplative atmosphere with his sarcasm. When The Paralyzed Weaver Dreams is a strange, and even horrific, song about the beauty of dreams and the cruelty of reality. Some echoes of Mahler have made their way into my music.
I borrowed the title of my cycle from the next poem, Perspective, by Friedrich Hölderlin (Wenn in die ferne…). This is the last known poem written by the poet and is a sacred hymn to Mother Nature and her perfection.
Another hymn concludes the cycle, sung by Eichendorff’s soldier who is “storming Heaven’s very doors”.
A very long coda with the piano alone prolongs this canticle, like the pealing of bells.
Il y a une douzaine d’années, Thierry Ansieau et Raoul Mériguet avaient passé commande à Olivier Greif d’un cycle de mélodies pour baryton et piano. La mort prématurée du compositeur ayant arrêté ce projet, ils m’ont alors demandé d’écrire une œuvre pour la même formation et dédiée à la mémoire de notre ami commun. Avec le soutien de l’Association Pour Que l’Esprit Vive, cette œuvre a vu le jour à l’Abbaye de La Prée en juin 2011, avec les interprètes du présent enregistrement, Alice Ader et Matthieu Lécroart. In die ferne (Au loin) est un cycle de huit mélodies, toutes écrites sur des poésies allemandes – la plupart ayant pour thème la mort, envisagée de façon plus ou moins sereine… Le cycle s’ouvre avec deux poèmes de Georg Trakl, mon poète de prédilection. Après Paysage avec ruines et der Wanderer, j’ai tenté à nouveau de traduire en musique l’étrange paysage intérieur de Trakl, symbolique et chiffré (nuages noirs, étang blanc, barque argentée, vent glacial, ciel étoilé, oiseaux migrateurs…) tout en en respectant la dimension religieuse. Sur un ton naïf ou ironique, Heinrich Heine évoque le Paradis (un paradis pour âmes simples) dans Pieux avertissement – puis l’Enfer dans une petite chanson désinvolte (Que tu es longue, Eternité…) Le chant nocturne du voyageur est un des plus célèbres poèmes de Goethe. Plainte tranquille et résignée, où la mort, comme l’écrit Jean Tardieu, « est présente non pas dans son horreur, mais comme un fait naturel, une nécessité biologique ».
Les sarcasmes de Clemens Brentano viennent balayer cette atmosphère recueillie : Quand le tisseur paralysé rêve… est une chanson bizarre, assez atroce, sur la beauté du rêve et la cruauté du réel. Quelques échos mahlériens passent dans ma musique. (Brentano collecta les chants populaires du recueil Des Knaben Wunderhorn qui imprègnent une grande partie de l’œuvre de Mahler.)
J’ai emprunté le titre de mon cycle aux premiers mots du poème suivant, La vue, de Friedrich Hölderlin (Wenn in die ferne…) C’est un poème tardif (le dernier connu) du poète, un hymne sacré à la Mère Nature et à sa perfection.
Un autre hymne vient conclure ce cycle, entonné par le Soldat d’Eichendorff, « à l’assaut de la porte céleste ». Une très longue coda du piano seul prolonge ce cantique, comme dans une volée de cloches.
1. Geistliche Dämmerung, Georg Trakl
Stille begegnet am Saum des Waldes
Ein dunkles Wild ;
Am Hügel endet leise der Abendwind,
Verstummt die Klage der Amsel,
Und die sanften Flöten des Herbstes
Schweigen im Rohr.
Auf schwarzer Wolke
Befährst du trunken von Mohn
Den nächtigen Weiher,
Den Sternenhimmel.
Immer tönt der Schwester mondene Stimme
Durch die geistliche Nacht.
Spiritual Twilight
Dusky prey in silence appears
At the forest’s edge;
Softly the wind of evening dies on the hill.
The plaint of the blackbird is muted,
And the gentle flutes of Autumn
Are stilled in the reeds.
On a blackened cloud
You sail, drunk with poppies,
The pond of the night,
The heaven of stars.
The lunar voice of the sister resounds forever
Through the spiritual night.
Crépuscule spirituel
Calme rencontre à la lisière de la forêt
Un gibier sombre ;
À la colline meurt tout bas le vent du soir.
Expire la plainte du merle
Et se taisent dans les joncs
Les tendres flûtes de l’automne.
Sur un nuage noir
Tu parcours ivre de pavot
L’étang nocturne,
Le ciel constellé.
Toujours tinte la voix de lune de la sœur
À travers la nuit spirituelle.
2. Untergang, Georg Trakl
Über den weiBen Weiher
Sind die wilden Vögel fortgezogen.
Am Abend weht von unseren Sternen ein eisiger Wind.
Über unsere Gräber
Beugt sich die zerbrochene Stirne der Nacht.
Unter Eichen schaukeln wir auf einem silbernen Kahn.
Immer klingen die weißen Mauern der Stadt.
Unter Dornenbogen
O mein Bruder klimmen wir blinde Zeiger gen Mitternacht.
Descent and Defeat
Over the white fishpond
The wild birds have blown away.
An icy wind drifts from our stars at evening.
Over our graves
The broken forehead of the night is bending.
Under the oaks we veer in a silver skiff.
The white walls of the city are always giving off sound.
Under arching thorns
O my brother, blind minute-hands we are climbing toward midnight
La descente aux profondeurs
Au-dessus de l’étang blanc
Se sont envolés les migrateurs.
Le soir un vent glacial souffle de nos étoiles.
Au-dessus de nos tombes
S’incline le front éclaté de la nuit.
Sous les chênes nous berce une barque d’argent.
Toujours tinte l’écho des murs blancs de la ville.
Sous une voûte de ronces
Ô frère nous grimpons, aiguilles aveugles, vers minuit.
3. Fromme Warnung, Heinrich Heine
Unsterbliche Seele, nimm dich in acht,
Dass du nicht Schaden leidest,
Wenn du aus dem Irdischen scheidest ;
Es geht der Weg durch Tod und Nacht.
Am goldnen Thore der Haupstadt des Lichts,
Da stehen die Gottessoldaten ;
Sie fragen nach Werken und Thaten,
Nach Namen und Amt fragt man hier nichts.
Am Eingang lässt der Pilger zurück
Die stäubigen, drückenden Schuhe –
Kehr ein, hier findest Ruhe,
Und weiche Pantoffeln und schöne Musik.
Pious Warning
Immortal soul, you had best beware,
that you suffer neither damage nor blight,
When you depart from earthly care;
your path will lead through death and night.
The gates of heaven are golden and grand,
There the soldiers of God stand guard.
Your acts and deeds in judgement stand.
Your name and office hold no regard.
At the threshold, the pilgrim leaves
His dusty and oppressive shoes.
Enter, for here will you find peace,
Soft slippers and music that soothes
Pieux avertissement
Âme immortelle, prends bien garde
De ne pas souffrir de dégâts
Quand tu quitteras cette terre :
Ton chemin mènera par la mort et la nuit.
La Cité de Lumière a une porte d’or
Où la garde est montée par les soldats de Dieu.
On te demandera tes œuvres et tes actes ;
Ton nom, ta profession, nul ne s’en enquerra.
Le pèlerin quittera, dés l’entrée,
Les souliers poudreux qui le blessent ;
Entre, tu vas trouver ici le repos,
Des pantoufles bien douces et de bonne musique.
4. Ewigkeit, wie bist du lang, Heinrich Heine
Ewigkeit, wie bist du lang,
Länger noch als tausend Jahr ;
Tausend Jahre brat ich schon,
Ach ! und ich bin noch nicht gar.
Ewigkeit, wie bist du lang,
Länger noch als tausend Jahr ;
Und der Satan kommt am End,
Frißt mich auf mit Haut und Haar.
Eternity, how long you are
Eternity, how long you are,
Longer yet than one thousand years;
For one thousand years I roast and char
Alas! I am not yet done, I fear.
Eternity, how long you are,
Longer yet than one thousand years;
And in the end, Satan comes to devour
My very flesh, my bones, my hair.
Que tu es longue, éternité
Que tu es longue, éternité,
Plus longue encore que mille ans.
Mille ans déjà que je rôtis
Las, je ne suis pas encore cuit.
Que tu es longue, éternité,
Plus longue encore que mille ans.
Et pour finir viendra Satan
Me croquer la chair et les os.
5. Wandrers Nachtlied, Goethe
Über allen Gipfeln
Ist Ruh,
In allen Wipfeln
Spürest du
Kaum einen Hauch;
Die Vögelein schweigen im Walde.
Warte nur, balde
Ruhest du auch.
Wanderer’s night-song
O’er all the hill-tops
Is quiet now,
In all the tree-tops
Hearest thou
Hardly a breath;
The birds are asleep in the trees:
Wait; soon like these
Thou too shalt rest.
Chant nocturne du voyageur
Sur toutes les cimes
La paix.
Au faîte des arbres
Tu saisiras
Un souffle à peine.
Au bois se taisent les oiseaux.
Attends! Bientôt
Toi-même aussi
Reposeras.
6. Wenn der lahme Weber…, Clemens Brentano
Wenn der lahme Weber träumt, er webe,
Träumt die kranke Lerche auch, sie schwebe,
Träumt die stumme Nachtigall, sie singe,
Daß das Herz des Widerhalls zerspringe,
Träumt das blinde Huhn, es zähl’ die Kerne,
Und, der drei je zählte kaum, die Sterne,
Träumt das starre Erz, gar linde tau es,
Und das Einsenherz, ein Kind vertrau es,
Kömmt dann Wahrheit mutternackt gelaufen,
Führt der hellen Töne Glanzgefunkel
Und der grellen Lichter Tanz durchs Dunkel,
Rennt den Traum sie schmerzlich übern Haufen,
Horch ! Die Fackel lacht, horch ! Schmerzschalmeien
Der erwachten Nacht ins Herz all schreien ;
Weh, ohn Opfer gehn die süßen Wunder,
Gehn die armen Herzen einsam unter !
When the crippled weaver dreams…
When the crippled weaver dreams, it is of weaving,
The ailing lark dreams too, of flight unceasing,
The voiceless Nightingale dreams of sweetly singing,
Until hearts could break from the echoes ringing,
The blind hen dreams, counting grain by the score,
And he who counts barely to three, counts the stars,
The frigid ore dreams that it sweetly thaws,
The heart of stone dreams of a child’s trust and awe.
Then the naked truth comes in leaps and bounds
To lead the way for the bright sparkling sounds
And dances through the dark like a dazzling beam&
Rushing to painfully shatter the dream.
Hark! The torch laughs, Hark! The trumpets of pain start
And the awakened night screams into every heart;
Alas, without a victim, the delicious wonder
And the poor solitary hearts go under!
Chanson bizarre (Quand le tisseur paralysé…)
Quand le tisseur paralysé rêve, il tisse,
Quand l’alouette malade rêve, elle plane
Et quand il rêve, le rossignol sans voix chante à tue-tête,
Si fort que l’écho vous fait éclater le cœur,
Rêve le coq aveugle : il compte les cailloux, et tel
Qui ne savait compter jusqu’à trois rêve qu’il compte les étoiles,
Le minerai figé rêve qu’il fond bien tièdement,
Et le cœur de pierre rêve qu’un enfant se fie à lui.
La vérité s’en vient alors, nue comme au premier jour,
Elle fait étinceler les sonorités claires
Et danser les lumières criardes dans le noir,
Et douloureusement vient s’écraser le rêve.
Écoute ! La torche rit, écoute ! Les trompettes de douleur
De la nuit réveillée crient toutes dans le cœur.
Malheur ! Les merveilles délicieuses périssent sans sacrifice
Et périssent les pauvres cœurs solitaires !
7. Die Aussicht, Friedrich Hölderlin
Wenn in die Ferne geht der Menschen wohnend Leben,
Wo in die Ferne sich erglänzt die Zeit der Reben,
Ist auch dabei des Sommers leer Gefilde,
Der Wald erscheint mit seinem dunklen Bilde.
Daß die Natur ergänzt das Bild der Zeiten,
Daß die verweilt, sie schnell vorübergleiten,
Ist aus Vollkommenheit, des Himmels Höhe glänzet
Den Menschen dann, wie Bäume Blüt umkränzet.
Perspective
When, in the distance, men live out their lives,
In the distance where the grape in season thrives,
There too where summer’s fields lie fallow,
The forest appears with its darkness and shadow.
If nature thus paints the passage of time,
If she lingers then, only to quickly pass by,
It is out of perfection, high Heaven shines down
Mankind, like the flowering trees, to crown.
La vue
Lorsque au loin s’en va la vie des hommes,
Au loin, où resplendit la saison des raisins,
Il y a là aussi les champs de l’été, vides,
La forêt qui paraît et son image sombre.
Si la nature achève l’image des temps,
Et s’attarde, tandis qu’eux rapidement passent,
C’est par perfection –- la hauteur des cieux luit alors
Pour les hommes, comme des arbres en fleur.
8. Der Soldat, Joseph von Eichendorff
Und wenn es einst dunkelt,
Der Erd’ bin ich satt,
Durchs Abendrot funkelt
Eine prächt’ge Stadt :
Von den goldenen Türmen
Singet der Chor,
Wir aber stürmen
Das himmlische Tor.
The Soldier
And when the darkness grows,
I weary of the Earth,
Through the sunset there glows
A city of infinite worth:
From the towers of gold
A choir’s song soars,
But we storm the hold
Of heaven’s very doors.
Le soldat
Et quand il fera sombre, et que
Je n’en pourrai plus de la terre,
Resplendira dans le couchant
Une cité magnifique :
Dans les hauts clochers d’or,
Le chœur chantera,
Mais nous, nous prendrons d’assaut
La porte céleste.
STARS IN MY STUDIO
The spectacle of the stars is undoubtedly the most immense and far-flung subject that it is possible to photograph from the Earth. And the introduction of this cosmos into a studio of just a few square meters is at the root of this proposal. The project’s impetus lies in photographing and rendering credible the images produced in such conditions, employing methods that have more in common with Georges Méliès than digital retouching.
The photographic prints have been produced from large format negatives, with contact prints made using old, out-of-date, frequently degraded papers, lending them the status of documents and, consequently, a certain aura of authenticity. Ultimately, the viewer is deceived by the realism of these simulations, a circumstance exploited by Gilles Berquet to make improbable chimeras pass for natural phenomena.
In Berquet’s hands, photography is a game; its rules having no object other than the production of magic. Accordingly, when he contrives the confinement of a Solar System in this small space, he restricts himself to the use of a single light source: a sole sun at the heart of the installation.
By a clever configuration of shimmering objects and magnifying glasses – a myriad of small planets and satellites gravitating in space – a strange nebula materializes, expanding and dissolving into a simulated starry night.
It is commonly said of photography that it makes time stand still. And yet, Gilles Berquet’s photography gives the impression instead of time dilating under the influence of weightlessness, though without freezing it entirely. Like a silence suspended between two worlds, still echoing the deafening void of the cosmos, akin to the final resting place of the astronaut in 2001: A Space Odyssey, at the conclusion of his stellar voyage.
Le spectacle des étoiles est sans aucun doute le sujet le plus vaste et le plus lointain qu’il soit possible de photographier depuis la terre. Faire entrer cet univers dans un studio de quelques mètres carrés est à la base de cette proposition. Le photographier et rendre crédible les images ainsi produites, par des procédés qui ont plus à voir avec Georges Méliès qu’avec la retouche numérique, en est le moteur.
Les épreuves photographiques réalisées d’après des négatifs de grand format, sont tirées par contact sur des papiers anciens, périmés et souvent altérés, qui leur donnent valeur de documents et, par conséquence, une certaine aura d’authenticité. Au final, le spectateur est abusé par le réalisme de ces simulations et Gilles Berquet en profite pour faire passer d’improbables chimères pour des phénomènes naturels.
Entre ses mains, la photographie est un jeu dont les règles n’ont d’autres but que de produire de la magie.
Ainsi, lorsqu’il projette d’emprisonner un Système Solaire dans ce même espace confiné, il se donne comme contrainte de n’utiliser qu’une seule source de lumière : unique soleil au cœur de l’installation.
Par un savant dispositif d’objets miroitants et de loupes, autant de petites planètes et de satellites qui gravitent dans l’espace, se matérialise une étrange nébuleuse qui s’étire et se fond dans un simulacre de nuit étoilée.
On dit communément de la Photographie qu’elle arrête le temps. Celle de Gilles Berquet donne plutôt l’impression de le dilater sous l’effet de l’apesanteur, sans toutefois le figer totalement. Cette photographie est comme un silence suspendu entre deux mondes. Il raisonne encore du vide assourdissant du cosmos, à l’image de l’ultime demeure de l’astronaute de 2001 l’Odyssée de l’Espace à l’issue de son voyage sidéral.